Interdiction de TikTok en Nouvelle-Calédonie : une mesure inédite dans le cadre de l’état d’urgence

Par Vincent Solacroup
17 mai 2024 15:50 Mis à jour: 17 mai 2024 15:51

Dans le cadre de son objectif de « retour à l’ordre », le gouvernement a annoncé mercredi l’interdiction en Nouvelle-Calédonie du réseau social TikTok pour limiter notamment les contacts entre émeutiers et la circulation de messages appelant à la haine, dans un contexte d’ingérences étrangères.

Depuis lundi en Nouvelle-Calédonie, de violentes émeutes ont plongé le territoire dans le chaos suite au passage d’une révision constitutionnelle refusée par les indépendantistes. Dans ce cadre, la priorité du gouvernement est « le retour à l’ordre ».

C’est la loi « relative à l’état d’urgence » qui permet cette interdiction « exceptionnelle », explique à l’AFP Amélie Tripet, avocate spécialisée du droit des médias au cabinet August Debouzy. Conformément à la loi du 3 avril 1955, « le ministre de l’Intérieur peut prendre toute mesure pour assurer l’interruption de tout service de communication au public en ligne provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie ».

Outil d’information des émeutiers et d’ingérences étrangères

Le réseau social, propriété de la société chinoise ByteDance, est un des vecteurs de communication préférés entre les groupes qui commettent des violences depuis trois nuits, estime le gouvernement. De nombreux messages de haine et d’appels à la violence contre l’État français et des opposants à l’indépendance ont circulé via l’application TikTok. « Les messages qui passaient sur les réseaux, c’était : “On va brûler les maisons des Blancs” », a témoigné une habitante sur BFMTV.

Cette mesure d’interdiction intervient également sur fond d’ingérences et de désinformation sur les réseaux sociaux venant de pays étrangers. Gérald Darmanin a accusé l’Azerbaïdjan d’ingérence ; la Chine quant à elle soutient les mouvements kanaks indépendantistes afin de déstabiliser le territoire français. Un rapport de l’Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire (Irsem) a démontré que Huawei, TikTok, Xiaomi, etc. constituent des armes d’influence chinoises à l’étranger.

La légalité « discutable »

Sur le réseau X, le juriste Nicolas Hervieu, qui enseigne à Sciences-Po et à l’université d’Évry, a estimé qu’il s’agissait d’une décision « sans précédent » et jugé que sa légalité était « discutable », bien que liée à l’état d’urgence proclamé plus tôt dans la journée par le gouvernement.

« Pour avoir une telle mesure générale de blocage du service de communication, qui est une mesure exceptionnelle et qui doit être nécessairement proportionnée dans le temps, il faut vraiment justifier d’une particulière nécessité », souligne Amélie Tripet. « Si jamais cela est contesté devant le juge, il y aurait trois questions : est-ce que c’est prévu par la loi ? Est-ce que c’était nécessaire ? Est-ce que c’était proportionné ? », ajoute-t-elle.

« C’est une décision potentiellement fragile juridiquement ». « Je me demande si le blocage de TikTok ne va pas être contre-productif en contribuant à alimenter le narratif de ceux qui cherchent à nous nuire en désignant l’État comme liberticide », a prévenu le député Éric Bothorel (Renaissance) sur X.

Facilité par l’existence d’un opérateur de télécommunications unique

« C’est l’office des postes et des télécommunications de Nouvelle-Calédonie (établissement public du gouvernement de Nouvelle-Calédonie) qui intervient depuis hier pour bloquer les accès à l’application TikTok », a précisé Matignon mercredi soir, dans la foulée de son annonce.

Cette interdiction, facilitée par l’existence de cet unique opérateur télécoms, « fonctionne opérationnellement » sur les téléphones portables dans l’archipel. « Techniquement, cela aurait été beaucoup plus compliqué d’aller voir tous les opérateurs » en France métropolitaine (Orange, SFR, Bouygues Telecom, Free…) pour mettre en place une telle interdiction, souligne encore l’avocate Amélie Tripet.

Dans le détail, la méthode technique la « plus probable qui aurait pu être utilisée » est le blocage du « système de nom de domaine » (DNS), c’est-à-dire ce qui permet de convertir un nom de site web en une adresse IP numérique, qui est utilisée par les internautes pour trouver le site, estime Adrien Merveille, expert en cybersécurité chez Check Point Software Technologies.

« Le mécanisme pour empêcher l’accès à TikTok serait simplement de dire que les requêtes faites vers TikTok n’auront pas de réponse. C’est quelque chose qui peut se mettre en place au niveau des opérateurs », complète-t-il. Mais cet obstacle reste facilement contournable en utilisant un réseau privé virtuel (VPN) ou un autre service de masquage de localisation, et de nombreux experts soulignent aussi l’existence d’alternatives à TikTok, comme Snapchat ou les messageries Telegram et Signal.

« Le blocage étatique se pratique en Chine, au Moyen-Orient depuis des dizaines d’années et ça fonctionne. Mais cela a ses limites, il peut être contourné par du VPN, rebondir dans un autre pays », confirme Arnaud Lemaire, expert en cybersécurité chez l’entreprise F5.

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